IMAGES D'UN GOELAND
avec des extraits de
Jonathan Livingston le Goéland
de Richard Bach traduction de l'anglais par Pierre Clostermann
C’était
le matin et l’or d’un soleil tout neuf tremblait sur les rides
d’une mer paisible.
A une encablure du rivage, le bateau de pêche, relevant ses filets,
invitait au petit déjeuner,
et son appel transmis dans les airs attira mille goélands virevoltants
et se disputants
les débris de poisson.
Une
nouvelle journée de labeur commençait ainsi.
Mais,
seul, loin du bateau
et du rivage, Jonathan Livingstone
le Goéland s’exerçait.
A une trentaine de mètre d’altitude,
il abaissait ses pattes palmées, relevait son bec et s’efforçait
douloureusement d’imprimer à ses ailes une plus forte cambrure.
Cette cambrure freinait
son vol. Il se sentait ralentir
jusqu’à ce que sur sa tête
le vent ne fût plus qu’un léger souffle et que là
en bas, sous lui, s’immobilise l’Océan…
Mais Jonathan Livingstone le Goéland, sans la moindre
vergogne, tordant à nouveau ses ailes, les cambrait
en frémissant, ralentissant, ralentissant
et pour s’effondrer encore en perte
de vitesse …
Jonathan
Livingstone le Goéland
n’était certes pas un oiseau ordinaire …
Il
se demandait pourquoi,
par exemple, lorsqu’il survolait
l’eau à une hauteur
de la moitié de son envergure
il pouvait demeurer en
l’air plus longtemps
à moindre effort …
Quand
il se mit au milieu de la plage,
à atterrir sur le ventre puis à mesurer
à pas comptés la longueur
de sa glissade sur le sable,
ses parents furent plongés
dans une véritable consternation …
Lorsque
Jonathan le Goéland rejoignit
les siens sur le rivage, il faisait nuit noire.
Il éprouvait des vertiges
et il
était terriblement las.
Malgré cela, dans sa joie, il effectua
à l’atterrissage un dernier looping
suivi d’un tonneau déclenché,
juste avant de se poser …
Jonathan
le Goéland s’en alla passer,
bien au delà des Falaises lointaines, solitaire, le reste de ses jours.
Son unique
chagrin, il ne le devait pas
à la solitude, mais au fait que
les autres goélands ne voulaient
pas croire à la gloire du vol,
au fait qu’ils se refusaient
à ouvrir les yeux et à voir …
C’est un soir qu’ils arrivèrent,
rencontrant Jonathan qui planait, serein et solitaire
dans son ciel bien-aimé.
Les deux goélands qui apparurent
à toucher ses ailes étaient purs comme
de la lumière des étoiles, et l’aura
qui émanait d’eux, dans l’air de la nuit profonde,
était douce, amicale.
Mais
plus merveilleux que tout au monde était la grâce avec laquelle
ils volaient,
leurs rémiges ramant avec précision
et régularité à trois centimètres des siens …
Longuement
il promena un ultime regard
sur les cieux, sur cette magnifique terre argentée où il avait
appris tant de choses.
- Je suis prêt, dit-il enfin.
Et Jonathan Livingstone le Goéland, accompagnant les deux goélands-étoiles,
s’enleva pour disparaître avec eux dans le ciel d’un noir
absolu ...
Les
nuages s’entrouvrirent,
les goélands qui l’escortaient
lui crièrent :
« Bon atterrissage, Jonathan ! »
et ils s’évanouirent dans l’espace.
... Sois persuadé, Jonathan,
que tu commenceras à toucher au paradis
à l’instant même où tu accéderas
à la vitesse absolue. Et cela ne veut pas dire
au moment où tu voleras à quinze cents
kilomètres à l’heure.
Car tout nombre nous limite
et la perfection n’a pas de bornes.
La vitesse absolue, mon enfant,
c’est l’omniprésence ...
Charles-Roland
le Goéland
se fit porter par les ondes
du grand vent de la montagne
à plus de sept mille mètres d’altitude et, bleui par le
froid
de l’air raréfié, redescendit, éberlué et
ravi, résolu à monter plus haut le lendemain …
"Tu
as raison, Jonathan, il n'y a pas de limites",
se dit-il avec le sourire.
C'est ainsi que Fletcher s'engagea
sur la route de la sagesse ...